dimanche 14 juin 2009
Paule
Quoi dire, quoi ajouter, quand il n’y a plus de mots, ou trop de mots à la fois pour qualifier ce que tu étais et le vide que tu laisses. Moins de deux jours avant ta mort, je suis allée te voir, pour te faire mes adieux. Je trouvais à peine les mots et toi tu m’as dit que tu n’étais plus capable de parler, c’est là, que ça s’est cassé en moi, mon amie, ma complice, ma collègue et celle que j’aurais choisie comme sœur allait vraiment s’établir ailleurs et nous quitter.
Lorsque l’inévitable fut, ma peine devint immense et c’est au contact de tes demandeurs et de nos collègues que je me suis apaisée. J’ai pris soin de tes demandeurs avec Rosanne, comme je pensais que tu l’aurais fait. Je me suis faite enveloppante et rassurante et leur ai transmis l’espoir, à eux qui ont encore la vie et leur ai rappelé, comment tu les appréciais et leur faisais confiance.
Quand je pense à toi tous les mots se bousculent, tous aussi fiers, honorés et responsables de vouloir dire qui tu étais. Comme toi, ils sont pleins de fougue, mais demeurent à la fois timides de ne pas être suffisamment précis pour te qualifier. Témoin de la trace profonde que tu as laissée dans nos cœurs et qui est visible dans nos yeux aujourd’hui.
Dès les premiers instants de ton absence pour maladie à Diogène, le manque rôdait déjà, imprégné de la crainte que tu n’y serais peut-être plus. Puis le pire fut, tu n’es plus.
Fini tes clins d’œil craquants et complices que tu me faisais, fini ton rire éclatant, fini ton regard apaisant, plein de tendresse et de compassion. Fini tes élans du cœur impulsifs, plus jamais nous n’entendrons tes mots si directs et crus que ton authenticité, ta passion et tes peurs te soufflaient. Ils ne résonneront plus, sauf dans l’écho du souvenir. Fini ton intensité lorsque tu vivais tes émotions sur fond de drame ou de joie. Fini tes émerveillements, ta créativité, tes extravagances, mais surtout fini tous les possibles avec toi. Irréel et à la fois si tangible ton souvenir palpite en nous. Ta mort s’inscrit dans la vie et la vie pousse déjà son chemin au-delà de la mort.
À Diogène on t’a connue à peine six ans, et si l’on enlève les fins de semaine et les congés, c’est trop court… pour ne plus être témoins de tes accomplissements. Autant tes collègues qui t’appréciaient, que tes demandeurs, demeurent encore sous le choc, inconsolables.
Tes demandeurs disent avoir perdu une sœur, une source d’inspiration et certains craignent même de ne plus être aimés. La plupart, une majorité de femmes, croyaient te connaître intimement, tellement tu avais su t’adresser à leur unicité en les touchant dans leur essentiel. Était-ce parce que ton âme savait l’urgence et sentait la prévalence du temps, que tu étais parfois si directe, voire même provocante, mais si vraie, que tu laissais l’autre sans arme.
Je pourrais chanter ta gloire et ta magnificence et comme je pourrais dire aussi ton insouciance, ta témérité, ton imprudence, de même que tous les pièges et les affronts que ton cœur a subis et qui se sont inscrits si violemment dans ton corps, au point d’en être indénouables et de t’étouffer.
Malgré cela il ne m’a pas semblé que tu aies regretté ton intensité. Tu n’avais pas de demi-mesures et quoiqu’aimant tricoter, je n’ai jamais pensé que tu mourrais à 90 ans en te berçant au coin d’un feu. Le feu, tu l’avais en toi et tu es morte à l’image de ta vie. Ce fut bref, intense et fulgurant, parce que tu avais sans ménagement déjà épuisé tout le potentiel que ta mission de vie t’avait alloué. Cependant, à chacune et chacun de nous, tu nous as aussi transmis les ingrédients et la force pour célébrer la vie.
Dans le dernier couloir de ta vie, tu as aimé à l’essentiel, délaissant les futilités, en lâchant prise et en intégrant qu’aimer c’est donner, mais c’est surtout se donner à soi d’abord… Tu voulais vivre maintenant, pour les bonnes raisons.
Intervenante intuitive que tu étais, à Diogène tu as appris à allier l’organisation, le recul et le goût de la réflexion clinique. À ton corps défendant quelquefois, tu as découvert qu’aider, était aussi poser ses limites, même au risque de perdre, que faire confiance était souvent beaucoup plus payant, que de sauver et de prendre le mal de l’autre comme sien. De sorte qu’une fois intégrée, tu n’amènerais plus maintenant, ton ragoût dans un «tupperware» à un demandeur qui avait faim, ou encore des cannages dans ton sac à dos, mais plutôt, tu l’aiderais à trouver ses propres ressources pour se nourrir.
Dans tes derniers mois d’intervention, tu as pris conscience de la force de tous tes apprentissages et des nouveaux outils que tu n’hésitais plus à utiliser. Tu disais que toute ta pratique d’intervention faisait sens et venait d’en être dynamisée, tu ne forçais plus. Tu en étais, je m’en souviens lors de nos supervisions, très excitée. Nous parlions de tes suivis avec fougue, créativité, compassion et humour. Maudit qu’on a ri ensemble, Paule. Tu avais encore quelques écueils, mais cette fois, tu les accueillais. Tu n’avais plus peur de ne pas être assez bonne intervenante et tu travaillais sur toi plutôt que sur l’autre.
À présent, tu reliais le cœur à la tête, pour l’incarner dans ton ventre et donner naissance au centrement, les deux pieds bien enracinés, sans savoir que ta prochaine intervention serait auprès de toi-même. De ce que tu m’as dit et écrit dans tes derniers jours, tu réussissais à goûter à l’intervenante chevronnée que tu portais en toi. Tu savais aussi qu’elle n’exercerait plus ici dorénavant et tu t’es concentrée sur ton dernier parcours, celui qui t’a menée à mourir ici, pour naître ailleurs.
Je vous partage mon image favorite de la pratique d’intervention de Paule. Dans un CHSLD près de chez vous, un homme âgé, brisé par sa vie et la maladie mentale, isolé, oublié, même de lui-même, rejeté, n’ayant que pour attente, que la cigarette et la mort. Paule sa seule visite, l’appelait son Alexis. Il n’y avait plus rien à dire, sauf faire simple, comme elle savait souvent si bien le faire. Au fumoir à ses côtés, elle se berçait, puis comme ça, Paule s’est mise à chantonner un refrain qui ne menait nulle part, sauf au cœur. Leurs regards se sont croisés et il lui a souri, y mettant ses dernières miettes de vie puis, ils ont continué à se bercer, à fumer pendant que Paule fredonnait encore.
Paule, je te revois au dîner de Noël de Diogène en 2006, où le vin aidant, tu nous avais signifié à chacun d’entre nous, sans retenue, sans filtre, ni peur du ridicule (sauf le lendemain) comment tu nous aimais, mais surtout combien tu avais besoin de sentir comment l’on t’aimait. Le ressens-tu en ce moment…
Merci Paule et à plus tard…
Christiane Cadieux
7 juin 2009
Lorsque l’inévitable fut, ma peine devint immense et c’est au contact de tes demandeurs et de nos collègues que je me suis apaisée. J’ai pris soin de tes demandeurs avec Rosanne, comme je pensais que tu l’aurais fait. Je me suis faite enveloppante et rassurante et leur ai transmis l’espoir, à eux qui ont encore la vie et leur ai rappelé, comment tu les appréciais et leur faisais confiance.
Quand je pense à toi tous les mots se bousculent, tous aussi fiers, honorés et responsables de vouloir dire qui tu étais. Comme toi, ils sont pleins de fougue, mais demeurent à la fois timides de ne pas être suffisamment précis pour te qualifier. Témoin de la trace profonde que tu as laissée dans nos cœurs et qui est visible dans nos yeux aujourd’hui.
Dès les premiers instants de ton absence pour maladie à Diogène, le manque rôdait déjà, imprégné de la crainte que tu n’y serais peut-être plus. Puis le pire fut, tu n’es plus.
Fini tes clins d’œil craquants et complices que tu me faisais, fini ton rire éclatant, fini ton regard apaisant, plein de tendresse et de compassion. Fini tes élans du cœur impulsifs, plus jamais nous n’entendrons tes mots si directs et crus que ton authenticité, ta passion et tes peurs te soufflaient. Ils ne résonneront plus, sauf dans l’écho du souvenir. Fini ton intensité lorsque tu vivais tes émotions sur fond de drame ou de joie. Fini tes émerveillements, ta créativité, tes extravagances, mais surtout fini tous les possibles avec toi. Irréel et à la fois si tangible ton souvenir palpite en nous. Ta mort s’inscrit dans la vie et la vie pousse déjà son chemin au-delà de la mort.
À Diogène on t’a connue à peine six ans, et si l’on enlève les fins de semaine et les congés, c’est trop court… pour ne plus être témoins de tes accomplissements. Autant tes collègues qui t’appréciaient, que tes demandeurs, demeurent encore sous le choc, inconsolables.
Tes demandeurs disent avoir perdu une sœur, une source d’inspiration et certains craignent même de ne plus être aimés. La plupart, une majorité de femmes, croyaient te connaître intimement, tellement tu avais su t’adresser à leur unicité en les touchant dans leur essentiel. Était-ce parce que ton âme savait l’urgence et sentait la prévalence du temps, que tu étais parfois si directe, voire même provocante, mais si vraie, que tu laissais l’autre sans arme.
Je pourrais chanter ta gloire et ta magnificence et comme je pourrais dire aussi ton insouciance, ta témérité, ton imprudence, de même que tous les pièges et les affronts que ton cœur a subis et qui se sont inscrits si violemment dans ton corps, au point d’en être indénouables et de t’étouffer.
Malgré cela il ne m’a pas semblé que tu aies regretté ton intensité. Tu n’avais pas de demi-mesures et quoiqu’aimant tricoter, je n’ai jamais pensé que tu mourrais à 90 ans en te berçant au coin d’un feu. Le feu, tu l’avais en toi et tu es morte à l’image de ta vie. Ce fut bref, intense et fulgurant, parce que tu avais sans ménagement déjà épuisé tout le potentiel que ta mission de vie t’avait alloué. Cependant, à chacune et chacun de nous, tu nous as aussi transmis les ingrédients et la force pour célébrer la vie.
Dans le dernier couloir de ta vie, tu as aimé à l’essentiel, délaissant les futilités, en lâchant prise et en intégrant qu’aimer c’est donner, mais c’est surtout se donner à soi d’abord… Tu voulais vivre maintenant, pour les bonnes raisons.
Intervenante intuitive que tu étais, à Diogène tu as appris à allier l’organisation, le recul et le goût de la réflexion clinique. À ton corps défendant quelquefois, tu as découvert qu’aider, était aussi poser ses limites, même au risque de perdre, que faire confiance était souvent beaucoup plus payant, que de sauver et de prendre le mal de l’autre comme sien. De sorte qu’une fois intégrée, tu n’amènerais plus maintenant, ton ragoût dans un «tupperware» à un demandeur qui avait faim, ou encore des cannages dans ton sac à dos, mais plutôt, tu l’aiderais à trouver ses propres ressources pour se nourrir.
Dans tes derniers mois d’intervention, tu as pris conscience de la force de tous tes apprentissages et des nouveaux outils que tu n’hésitais plus à utiliser. Tu disais que toute ta pratique d’intervention faisait sens et venait d’en être dynamisée, tu ne forçais plus. Tu en étais, je m’en souviens lors de nos supervisions, très excitée. Nous parlions de tes suivis avec fougue, créativité, compassion et humour. Maudit qu’on a ri ensemble, Paule. Tu avais encore quelques écueils, mais cette fois, tu les accueillais. Tu n’avais plus peur de ne pas être assez bonne intervenante et tu travaillais sur toi plutôt que sur l’autre.
À présent, tu reliais le cœur à la tête, pour l’incarner dans ton ventre et donner naissance au centrement, les deux pieds bien enracinés, sans savoir que ta prochaine intervention serait auprès de toi-même. De ce que tu m’as dit et écrit dans tes derniers jours, tu réussissais à goûter à l’intervenante chevronnée que tu portais en toi. Tu savais aussi qu’elle n’exercerait plus ici dorénavant et tu t’es concentrée sur ton dernier parcours, celui qui t’a menée à mourir ici, pour naître ailleurs.
Je vous partage mon image favorite de la pratique d’intervention de Paule. Dans un CHSLD près de chez vous, un homme âgé, brisé par sa vie et la maladie mentale, isolé, oublié, même de lui-même, rejeté, n’ayant que pour attente, que la cigarette et la mort. Paule sa seule visite, l’appelait son Alexis. Il n’y avait plus rien à dire, sauf faire simple, comme elle savait souvent si bien le faire. Au fumoir à ses côtés, elle se berçait, puis comme ça, Paule s’est mise à chantonner un refrain qui ne menait nulle part, sauf au cœur. Leurs regards se sont croisés et il lui a souri, y mettant ses dernières miettes de vie puis, ils ont continué à se bercer, à fumer pendant que Paule fredonnait encore.
Paule, je te revois au dîner de Noël de Diogène en 2006, où le vin aidant, tu nous avais signifié à chacun d’entre nous, sans retenue, sans filtre, ni peur du ridicule (sauf le lendemain) comment tu nous aimais, mais surtout combien tu avais besoin de sentir comment l’on t’aimait. Le ressens-tu en ce moment…
Merci Paule et à plus tard…
Christiane Cadieux
7 juin 2009