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dimanche 14 juin 2009

Nuit

Je suis un oiseau de nuit. Une bête nocturne. Une sorte de vampire. La nuit m’inspire. Elle éveille en moi ce qui n’est pas permis, peut-être. La nuit est faite pour dormir et je suis faite d’objections, de contestations.
La nuit est noire. Les bruits sont étouffés. La ville est endormie, engloutie par le sentiment de l’accomplissement minable des êtres qui l’habitent. Ils ont joué au grand jour. Ils se sont mis à terme.
Moi, je n’ai pas de fin. Jamais rassasiée. Tenaillée par l’appel de l’obscurité. Sa musique m’émeut. La densité de sa noirceur extirpe en moi une danse illicite. Mon corps se met à vibrer en contre accord. Je file sur la portée d’une mélodie jouée en mineur. C’est complexe.
Je tente pourtant de suivre la mélodie de l’orchestre. Je rate le concert. Il n’existe pas de chef ? Je suis fourbe, je suis imposteur. Je suis jongleur. Je suis cambrioleur de loyauté. À quoi ça sert. À qui cela désert. Vous ne comprenez pas, assurément, mes charabias, mais qu’importe. Je me confesse. Parce que la nuit tout le monde dort. Il n’y a personne qui peut entendre mes impertinences. Et moi je fais semblant d’être endormi. Demain rien n’y paraîtra. J’ai l’habitude. J’ai de l’entraînement malgré mes doutes.
J’aime filer au son de la nuit. Elle me semble interminable, lente, malgré que… Avez-vous déjà écouté la nuit ? Elle raconte des tonnes de secrets, les nôtres. Ceux les plus inédits. La nuit parle. Elle parle de soi. Ce n’est pas toujours facile de l’entendre. Mais pire est la résistance. Je me suis vouée jadis à la nuit. Il m’arrive d’en ressentir des relents. Ils prennent toutes sortes de parfums. Des effluves amers, des émanations vicieuses, mais tolérables. Rarement inoffensives.
La nuit est rarement innocente. Malgré les apparences. Est-elle donc un danger incontestable ? Le danger possède toute sorte de figure. Il revêt plusieurs habits. La nuit étant son favori déguisement.
Je me suis peut-être perdu à travers son accoutrement si burlesque. Je me suis laissée enjôler par ses exaltations. Je suis victime d’un mauvais tour. Je suis si naïve. Cela m’apprendra à écouter l’écho de mes nébulosités. Je me suis éprise de sa mascarade.
Je promets de me réconcilier avec le jour, un jour. Je vais tenter de me faire amie de la lumière, malgré qu’elle tamise certaines de mes vérités. Je m’engage à me suffire de la luminosité afin de suivre la voie qui m’éclairera à travers mes chemins ténébreux. Je bouderai la lune dans son édredon bordée d’étoiles et consens à laisser à la nuit la tâche de livrer ses secrets à mes pairs. Pour le meilleur et pour le pire, j’accepte ô jour de m’unir à toi dans l’accomplissement avec toute mon ignorance et ma volonté. Bonne nuit.

Paule (non daté)