dimanche 31 mai 2009
Sans titre
Si touchante et à la fois combien rebutante. Tantôt ange, tantôt démon. Qui vit dans sa tête? Qui donc s'est emparé de son esprit?
Le dos vouté, l'échine recourbée, elle va son chemin, entre l'ombre et la lumière à la traversée de son désert, avide d'un bout de dessert. Une sucrerie j't'en prie! C'est ce qu'elle préfère par dessus tout. Et si c'était vrai.
Gare à celle qui lui refusera! Négation maudite. Intransigeance incontestable à la contradiction. Sacrilège, blasphème, outrage. Au viol!!! Catastrophe nucléaire, cataclysme cérébral, séisme convulsif. Ça y est, c'est la catatonie. Dans la ruche c'est la cacophonie. Les abeilles s'agitent, palpitent, l'évitent. Quelques unes l'imitent.
Son corps raidi par d'intenses contractions musculaires, prenant soin de taire sa figure de sa main recourbée tel une ombrelle à l'asile d'un soleil trop brûlant et des regards trop bruyants. Ses longs doigts souillés abritent son arcade sourcilière avec élégance et désinvolture, la tête infléchie elle crisse des dents compulsivement, amarrée au quai de son désespoir. Elle murmure son courroux.
Sans embarras, elle trépigne allègrement et nous joue de la mandibule. Les abeilles s'affolent, rigolent, batifolent, et moi, je me console.
Paule Pagé (Un moment à La Rue des Femmes, non daté)
Diagnostique
Je bois, je débois
Faire et défaire
J’anorexe, je boulimine
Je crie, je souscris
Je ris, je souris
Je démolie, je ramollie
Je suis.
Je marche, je démarche
Je cours, je parcours
Taire et déterre
Je limite, j’illimite
Je pleure, j’ai peur
Je construis, je m’instruis
Je suis
Je fume, me parfume
Je fripouille, me dépouille
Y paraît, ça y était
J’encéphaline, j’enmyalgine
J’explose, j’érose
Je fuis, tu nuis
Je suis
Je consume, je consomme
Je m’assume comme une conne
J’intense, j’intentionne
Je suis bi, je polarise
Je ski, je maniaquise
J’origine, j’original
Je danse, je décadence
Je suis
Paule Pagé (non-daté)
Un petit instant "polaroïde" de ta vie Paule
C'était un dimanche soir au Eugène Patin, tu étais habillée avec ton chapeau de cow-girl, une longue jupe en jeans, et une petite brassière style enguirlandé, du genre western. Christian Farley avait mis une longue toune, et vous vous étiez retrouvé tous les deux sur la piste de danse. Au travers de la centaine de personnes qui dansaient; je n'ai vu que vous deux, comme si le follow spot vous lâchez-pas .....
Un réel moment de sensualité, de complicité, de trans s'est dégagé de cet instant ......
T'as toujours été passionnée, pas de demie mesure pour toi !!!!
Il est impossible d'oublier une femme tel que toi qui passe dans notre vie.
Aurevoir Paule, je t'aime, Samir
Jour 7
Et je pleure. Sanglote.
Pas plus de quinze minutes ma belle, c’est ce que nous avions convenu. Pas plus de quinze minutes de pleurs par séance.
Et chaque jour depuis l’apparition des mots cancer, maladie, tumeur, métastase, nous avons pleuré.
D’amour.
Plus que de peine.
Jamais plus de quinze minutes par séance.
Jamais plus de huit ou neuf séances par jour.
Je sanglote en triturant ta robe de nuit.
J’ai l’impression que tu me bordes.
Que tu me rassures.
Que ma peine ne fait que passer.
Que mon amour règne.
Et je m’endors.
Comme un bébé.
En paix.
Comblé.
Merci d’être venue me border hier soir ma belle.
Saloperie de maladie.
Mon corps est entier mais il me manque la moitié de mon âme.
Ma sœur. Mon âme.
Nous avions des serrures pour nos clés et des clés pour nos serrures.
Quand on se sentait suffisamment en sécurité pour déverrouiller nos portes, alors nous pouvions être entièrement et honnêtement qui nous sommes.
Nous pouvions être aimé et aimer pour ce que nous sommes et non pour ce que nous prétendions être.
Mon bel amour.
J’ai une aile en moins.
Le moteur est en panne.
Les conditions météorologiques sont mauvaises.
Le staff est en grève.
Et mon train d’atterrissage est à terre.
Jour 5
Pendant quelques instants, quelques heures avant que tu n’expires, j’ai vu ta gang d’anges quelque part dans un autre espace que le nôtre, insensible à notre peine et à nos pleurs, qui trépignaient de joie et de bonheur à te retrouver.
Ils se disaient « Paule s’en revient », tous rassemblés, émus de ton retour imminent.
Est-ce que j’ai imaginé quelques instants ces êtres de lumière ( il y en avait une bonne quinzaine collée les uns sur les autres) émus et se répétant « Paule s’en vient »…
Ça m’a beaucoup réconforté.
Beaucoup.
Ça m’a permis d’atténuer, peut-être de transcender mon « Paule s’en va »…
Paule s’en va. Paule s’en vient.
Paule s’en vient. Paule s’en va.
Paule est ici.
Paule est là.
Paule est en moi. Mais je m’ennuie que tu ne sois pas à côté de moi.
Je m’ennuie des petits déjeuners copieux, du café bien chaud, du pain germé, du beurre de macadamia, de la confiture, des céréales trempées.
Et encore du café.
Pendant que tu enfiles ton tablier pour une séance de peinture.
Ou tes broches pour une séance de tricot.
À côté du poêle à bois.
Sereine, heureuse et comblée dans ton atelier.
Ton espace protégé.
À l’abri du tumulte.
Reconnaissante et débordante de gratitude.
Je suis réconforté de te savoir libre, de sentir que ton passage dans « l’au-delà » était habité par un fort sentiment de gratitude et un tout aussi fort sentiment de vouloir servir les autres.
Tu voulais vivre.
Tu voulais aimer.
Jamais plus autrement que de la façon dont tu éprouvais l’amour depuis deux mois.
Un amour plus pur. Sans scories.
De temps en temps, j’éprouve ton absence comme un abysse.
Un vide vertigineux sans repères.
Heureusement, c’est de temps en temps.
Le reste du temps, je m’ennuie de tes yeux, de tes mains, de tes seins. De nos pleurs, de nos rires, de nos mots d’amour.
Mon minoue. Ma belle mine. Ton minou a le cœur brisé.
Et il est en manque de toi.
Ton corps sera incinéré aujourd’hui.
Cent heures depuis ton dernier souffle.
Tu patientais dans une chambre froide. Je voulais éviter de précipiter les choses, que tu prennes ton temps pour t’extirper de ton corps.
Ce corps.
Que j’adorais
Tu le sais.
Chaque centimètre, chaque pli, chaque circonvolution, chaque saillie, du bout de tes cheveux au bout de tes orteils.
Ce corps.
Tous ses gestes, ses mouvements lents et vifs à la fois, ses arabesques, tes orteils qui te sont aussi utiles que tes doigts.
Je ne savais pas que tu mourrais. Ta mort était une abstraction. Ce n’était pas du déni ma belle. Juste un non-sens.
Je ne pouvais y songer, en parler, l’envisager, simplement parce que j’étais avec toi.
Je dansais avec toi.
Je pleurais avec toi.
Je parlais avec toi.
Je mangeais avec toi.
Je te lavais, je t’embrassais. Je veillais sur toi.
Tu ne pouvais mourir.
J’ai failli.
Tu seras incinéré dans quelques minutes.
J’irai sur mon coussin chercher à être équanime et conscient.
Ton corps brûlera.
Peut-être mon âme te libérera.
Et je saurai que tu es éternelle.
Jour 3
Mon minoue
Mine adorée
Tu me manques. T’es mon héroïne. Je suis en sevrage.
Je ne pensais pas qu’au bout de ta vie, qu’après ton dernier souffle, je ne pourrais plus rire avec toi, aller à la mer avec toi,danser sur une toune de Steely Dan, te préparer un repas pendant que tu peins, me faire préparer un repas pendant que je médite.
Parler avec toi
Parler avec toi
Parler avec toi
Je m’ennuie de parler avec toi de Billie, de la vie, de nos nœuds, de nos enjeux.
De nos séances de « Jerry Springer » avant d’aller travailler.
De nos conversations qui tourne autour des demandeurs, de nos désaccords, de nos différents points de vue.
De l’ennui que te suscitait mes longs discours interminables. De la surprise face à tes éclats un peu court.
Je m’ennuie de nos différences.
Ces différences qui révèlent, mettre à jour et à nu une part de ce que nous croyons être.
Tu m’as brassé ma belle. Comme t’en as brassé plein d’autres.
J’aurais une ou deux fois voulu te quitter. Mon égo n’en pouvant plus de se faire dessouffler. Moi qui passait mon temps à le nourrir et à le polir.
T’en avais rien à cirer de l’égo, de l’image, de la photo que j’avais dans la face accrochée comme un masque d’halloween. T’as sûrement vu que je n’y tenais pas tant que ça à mon masque d’halloween.
Tu m’as brassé ma belle. Baratté.
Et l’égo s’est dessoufflé, lentement, progressivement, à un rythme accéléré, très accéléré depuis deux mois.
Depuis la confirmation de ta maladie.
Tu me manques. Je m’ennuie de tous ces soins de tous les jours, de chaque instant précieux à t’aimer, à prendre soin de toi, à avoir peur de te perdre, à pleurer, à être touché par ton courage et ta sagesse.
Je t’aurais donné la moitié de ma vie pour que tu puisses vivre une demi-vie. Au moins.
Deux demi, ça fait quand même un.
Extrait "Un taxi pour Marie-Louise"
Toujours est-il que dans ma grande petite maison moi je n’ai pas de chambre pour dormir. Alors je voyage. Je suis nomade. Il n’y a pas que moi. Il y a aussi tous mes vêtements et mes affaires personnelles. Quoi que je n’ai pas grand-chose de personnel.
Chaque soir c’est une surprise. Je ne sais jamais où je vais atterrir. Dans le lit de ma mère ou celui de ma sœur. Je n’ai pas de poster sur les murs, ni d’endroit non plus pour être en punition. Ça toujours ça de bon. Ma mère ne m’envoie jamais dans ma chambre. Je n’en ai pas. Ça ne me dérange pas. Je n’ai jamais rien connu d’autres. Quand on a jamais mangé de gâteau au chocolat, on ne peut pas en avoir le goût.
Il y aussi ma grand-mère qui elle habite juste en dessous chez sept et deux et demi. Ça se complique, je vous explique. Sept pour son prénom et deux et demi parce que deux salle de bain. Une avec un bain et l’autre avec une toilette. Parfois je partage sa chambre aussi.
Toutes mes incertitudes nocturnes dépendent des activités de ma mère. En général, quand tout roule rondement, je dors avec ma mère dans son grand lit. On se colle les fesses et j’aime sentir sa présence. Elle ne favorise pas, en sa présence que je dorme avec ma grande sœur. J’ignore pourquoi, mais c’est même presque défendu. À part exception.
Souvent, quand j’atterris chez ma grand-mère c’est en plein milieu de mon sommeil, j’en ai parfois même pas conscience et je me réveille chez sept et deux demi. Il m’arrive de mettre un certain temps afin de m’orienter au petit matin. Mais c’est normal, c’est comme ça. Je ne ressens pas le besoin d’autres choses. C’est ma vie. Notre façon de faire. J’y trouve mon compte dans chacune de ces situations. J’aime particulièrement m’endormir avec ma grand-mère, ce qui est rarissime. Elle me raconte des histoires en me caressant le bras. Et quand elle s’endort, j’écoute. J’écoute le silence. C’est fou combien j’ai entendu de choses à travers ce silence. Et combien j’y ai vu d’images dans cette noirceur qui habitait aussi chez sept et demi. J’écarquillais grand les yeux, pour ne rien manquer.
Je détestais cependant me réveiller au beau milieu de la nuit chez ma sœur par des cris étouffés et lancinants. Ceux de ma mère. Un vacarme à m’en couper le souffle. Je cessais de respirer afin de mieux percevoir les sons qui déchiraient mon cœur. Je blottissais alors mon oreiller contre ma poitrine et je me berçais comme un bébé dans son landau. Jusqu’à ce que le sommeil me gagne. J’y ai rencontré l’angoisse. Elle est devenue copine de quatre et demi.
J’aime le petit matin. Parce que ma mémoire a oublié. Le sommeil lui a joué un tour. Le sommeil a fait effacé toutes traces de souvenirs. Je ne me rappelle plus des bruits et des sons. Une impression de vieux cauchemar. Jamais de traces non plus. Sinon que quelques rides de plus qui tapissent le visage de ma mère et la réalisation soudaine de la mort. Celle qui invite ma mère un peu plus chaque jour, chaque cris nocturnes étouffés, chaque bruits inconnus mais cependant terrorisants.
Un jour, ces contrariétés sonores ont eu un visage. Et ce visage portait dorénavant un nom. Raymond.
Raymond est devenu mon cauchemar.
Il porte un costume vert kaki et un pistolet à la ceinture. Il a une haleine d’alcool et malgré que je ne connaisse rien aux personnes, ni de la haine, ni du dégoût, ni de l’hostilité, Raymond me répugne. Il est imposant. De ma petite personne il m’apparaît comme une bête. Un ours. C’est ce qu’aime ma mère, je crois. Moi, ça me rebute. Il jure dans mon quatre et demie trop petit. Il s’impose. Il n’y avait déjà pas d’espace. Il prend ma place, mon lit, ma mère.
Malgré que je ne connaisse rien aux sentiments et à l’amour, je reconnais chez ma mère un état jusqu’ici inconnu. C’est pas beau. Je souhaite ne jamais ressentir cet état.
Elle valse entre des crises de larmes et des élans de joie. Elle attend. Elle attend toujours Raymond et son pistolet. Il n’est pas très disponible Raymond parce qu’il a une famille et une grande maison. Il ne peut pas être partout à la fois. Ça fait beaucoup de responsabilités. Deux femmes quatre enfants, un quatre et demie et une grande maison. En plus de son pistolet qui lui sert de travail. Il arrête les gens méchants Raymond. Avec son pistolet. Mais moi, ça me fait peur. Très peur. Les pistolets ça tue. Mais ma mère me dit que Raymond, il gagne sa vie avec. Qu’est-ce qu’on gagne à tuer? Allez savoir. Quand on mange, il le dépose sur la table entre le ketchup et la margarine. Moi, je l’étudie. Il est noir et brun. Il semble avoir de l’âge le pistolet. Il est usé. Comme une paire de chaussure. Il a perdu de son éclat. À moins que ce soit toujours comme ça. Je l’ignore. Je ne connais pas d’autres pistolet. Je n’en parle pas à ma grand-mère parce que je pense que c’est normal. Peut-être que toute famille partage leur repas avec un pistolet. Mais on mange très rarement avec Raymond. Ces visites sont souvent plus nocturnes. Il est très occupé Raymond. Il dit à ma mère que la porte doit toujours être déverrouillée sinon il va devoir se servir de son pistolet et tirer dans la serrure. Je l’ai entendu. Je me suis mise à me lever la nuit pour aller vérifier que la porte soit bien déverrouillée. J’imaginais mal nous faire réveiller par une détonation comme dans les films. Je me suis mise à connaître la peur. Mais ma grande sœur ne semblait pas partager ce sentiment. Alors je n’ai rien dit.
Je voyais ma mère si heureuse en sa présence. Et détruite en son absence. Alors malgré toute ma réticence à l’égard de Raymond, je souhaitais ces escapades pour apercevoir, sur la visage de ma mère, une certain bonheur.
J’arrivais d’un randonnée à vélo. Le ciel d’automne pleuvait des feuilles multicolores et j’aimais l’odeur qu’elles dégageaient. Un parfum de sève. Mes promenades à bicyclette avaient comme vertu de m’apporter une enveloppante sensation de liberté. À bord de mon vélo, j’étais au dessus de toutes contrariétés. Je me sentais toute puissante. J’avais du pouvoir. Je pouvais partir au bout de mes rêves tout en sachant que je ne le ferais jamais.
Je rentrais au bercail ravie et pleine d’assurance.
Rare était les journées où Raymond nous faisait l’honneur de sa visite, mais cette journée de novembre, il était attablé sirotant une O’Keefe en canette devant le bocal de mes poissons. À mon arrivée il pris l’initiative de partager sa boisson avec mes poissons. Il transvida de sa canette dans l’eau claire des poissons dont je m’efforçais de tenir propre et limpide. Il rigolait fort et de façon disgracieuse. J’ai fini par concevoir qu’il invoquait un acte reprochable. Je me suis mise à pleurer.
-Arrête, j’t’en prie. Fais pas ça.
L’eau se brouillait à un tel point que mes poissons disparaissaient sous l’écume du houblon.
-Ben non, y’ a pas de danger. Même qu’ils aiment ça. Pauvre poissons. Y faut ben que quelqu’un les désennuie. Imagine. Tourner dans un bocal à journée longue. Là y vont tourner pour vrai.
Et il s’esclaffait de rire, tandis que ma mère discrètement tentait de le dissuader.
Devant mon impuissance et son entêtement, j’ai rechevauchée ma bicyclette en pleurant. Le vent fouettait mon visage humide. Les rues étaient désertes. La plupart des enfants avaient rangé leur vélo en prévision de l’hiver. Mon, j’avais de la chance.
À mon retour, Raymond avait disparu, le bocal et mes poissons rouges aussi.
On a jamais reparlé des poissons. Et j’ai entendu ces cris de ma chambre. Un cochon qui se fait saigner.
Et je ne vous parle pas de mon chat Rominet et de mes canards Saturni et daisy qui ont fumé la cigarette à leur insu.
J’apprenais à détester. Je détestais l’homme qui rendait ma mère heureuse plus que moi. Je devenais une ombre aux yeux de celle que j’aimais tant. Je perdais de mon panache. Je perdais dans la hiérarchie. En bref, je prenais une débarque. Affective dans le cœur de celle en qui je m’étais cru une place réservée à jamais. Raymond et son pistolet avaient su se positionner en première place.
Quel choc. J’apprenais à vivre dans un espace restreint. Je me sentais l’obligation de m’effacer. J’étais devenue une efface de toute façon. Une espèce de rien. Plus rien. Plus de repères. Que les contes de ma grand-mère.
Ce soir là, je dormais avec ma sœur. C’était la nuit plus précisément. J’avais de l’école le lendemain. Un vacarme inhabituel nous extorqua de notre sommeil ma sœur et moi. Des mots, des vilains mots se bombardaient entre eux. Des mots qu’on nous défend de dire et qui débordent en un charabia terrorisant. Des bruits de violence résonnaient. Le mobilier s’égosillait sous les coups de poings et de pieds de deux grandes personnes qui tentaient de communiquer. La chambre de ma mère était à quelques pas de celle de ma sœur. Même si la porte était fermée, nous étions spectatrices d’une violente querelles.
Ma sœur s’interposa.
Elle lui cria de cesser immédiatement.
N’écoutant que son courage, il lui balança en pleine gueule :
-Viens dehors toi, on va régler ça.
Et, brandissant en plus son poing :
-Je vais te faire connaître mes cinq frères.
Ma sœur avait a peine16 ans.
Moi je voulais appeler la police mais, elle était déjà chez moi. Je me disais à quoi bon.
Raymond est parti et nous avons regagné nos chambres respectives. À part moi, ce soir là j’ai dormi avec ma mère qui n’a cessé de pleurer.
J’ai tenté de la consoler, mais en vain. Elle était inconsolable. Comme si quelqu’un était mort. Et pire encore. Elle n’avait jamais versé autant de larmes quand mon grand-papa est mort en vrai. Il y avait quelque chose de mort en ma mère. On y avait plus accès. Comme si elle appartenait à un autre monde.
Paule Pagé (Roman non-publié. Écrit autour de 1990)
samedi 30 mai 2009
Je veux
Je veux jardiner ce printemps avec Billie
Je veux aimer d’un amour pur tel que j’aime maintenant
Je veux être aux premières loges de l’obtention du diplôme de SEC V de Billie
Je veux peindre, peindre et peindre encore
Je veux m’aimer
Je veux aller me baigner chez ma sœur et dans les lacs
Je veux vivre
Je veux vivre au moins le 5 prochaines années d’abord
Je veux guérir
Je veux un miracle
Je veux l’espoir
Je veux aller me baigner au lac Léon avec mes collègues
Je veux revoir la neige
Je veux voir le bébé de ma fille
Je veux refaire mes dents l’an prochain
Je veux vivre
Je veux être témoin de l’obtention du diplôme de SEC V à Billie
Je veux être témoin de son entrée au cégep
Je veux guérir
Je veux que tout se passe bien pour Billie chez son père
Je veux Jacques bien et heureux
Je veux retrouver de l’énergie
Je veux que les traitements de chimio et radio fonctionnent
Je veux vivre un été paisible et serein
Je veux vivre des années
Je veux fêter l’année 2010
Je veux une guérison complète
Je veux prendre des forces
Je veux aimer les autres
Je veux avoir 50 ans et les célébrer
Je veux passer une bonne journée
Paule Pagé (avril 2009)
Je saigne
Dans mon sang je baigne
Une nuit fluide
C’est le flux humide
C’est la vie qui coule
La vie qui s’écoule
Ma vie qui s’écroule
La jeunesse qui déboule
Mon passé qui déroule
Je saigne
J’ai de la haine
Elle se loge là dans le bas de mon dos
Toute la nuit je tourne dans ma peau
Ça fait mal
Ça fait du bien
Je me sens mal
Je me sens bien
J’ai mal à l’âme
C’est bientôt la fin
Et je saigne
Sans pouvoir qu’il s’éteigne
Des cachets pour la douleur
Une lumière dans ma noirceur
C’est bientôt la fin
C’est bientôt demain
C’est la phase terminale
De la fertilité en aval
J’ai peur, j’ai mal
C’est la rage qui m’avale
La tristesse qui s’étale
Et je saigne
C’est la crainte qui règne
Je veux couler encore
Demain et plus tard
Que jamais cette rivière ne s’arrête
Malgré mes tempêtes
C’est mon refuge, c’est mon déluge
C’est ma raison, mon émotion
Mon seul pouvoir
Ma seule mémoire
C’est mon carnage, mon barrage
Je tache mes draps
Je drape mes bras
D’un liquide si chaud
Ma boisson visqueuse
Ma limonade sirupeuse
Mes cuisses barbouillées
Mon cœur bariolé
Le temps s’échappe
La vie dérape
Je m’évade
Je saigne, jusqu’à plus soif
Je saigne
Ne plus me contenir
Il n’y a plus de contenu
Je suis toute nue
Un seul contenant, je suis contente
Je suis le réservoir
Des hormones qui frissonnent
Des humeurs qui foisonnent
Mes humeurs qui détonnent
Les orages qui grondent
Mes pleurs qui inondent
Mes colères qui abondent
Je saigne à blanc
Dans mes draps de sang
Je veux que jamais ne s’arrête
Cette fuite hormonale
On dit que c’est normal
Que c’est banal
C’est mon miracle à moi
Ma force de vie
Ma force qui s’éteint
Ma vie qui prends fin
Le jus du raisin
Je suis le vin.
C’est divin
Je ne saigne déjà plus
C’était trop court
Beaucoup trop lourd pour quelques heures
Tellement intense pour que cela meurt
J’ai changé les draps
Masqué mes cernes
J’ai mis mes bas
Caché ma peine
Je suis maintenant redevenue
Je suis venue.
Je ne saigne plus.
Toutes mes excuses
J’ai été si
J’ai été tant
J’ai été trop, j’ai été tellement
Je ne suis plus dorénavant
Je suis, tout simplement
Comme vous m’aimez probablement
Tant pis pour vous
Tant pis pour moi
Tant mieux pour toi
Désolée, navrée,
Excusez-moi.
À la prochaine
Pourvu qu’elle saigne…
Paule Pagé (non daté)
Angoisse
Trois cafés…
Pas supposé.
Je sais.
C’est plus fort que moi. Le doute s’est emparé de ma raison. L’inquiétude et l’angoisse.
Pourquoi?
Les symptômes prémenstruels?
La ménopause? L’infertilité?
Le réchauffement de la planète? Le refroidissement de ma comète?
L’odeur de ses pets.
Mais qu’est-ce qui m’arrive?
Peut-être mon foie. Peut-être bien ma foi.
C’est peut-être LA fois.
Peut-être son foie.
Et puis après. Et si jamais.
Si c’était vrai.
Ça tourne. Quel manège.
Et swing les méninges.
Chachacha. Un, deux, trois.
Je me marche sur les pieds. M’enfarge ans mes idées.
Mes sentiments sont brouillés.
Trop de questions en cette matinée.
Vite, me moucher.
Observe ma Paule, observe.
Respire dedans. Accueille.
Quel écueil.
Dois-je en faire mon deuil?
C’est le printemps qui s’effeuille.
C’est ma journée qui déboule.
Mon soleil s’écroule.
Mes yeux qui se mouillent.
Aie! Aie! Aie!
Quelle bataille.
Je fume mon désespoir.
J’évite les miroirs. M’enfermerais dans mes tiroirs.
Au moins là, il fait noir.
Partir pour quelque part.
C’est de la faute au café.
C’est la faute à mon grand nez.
Ça va encore deux fois passer.
Trois fois passera.
C’est toujours comme ça.
Paule Pagé (non daté)
Sans titre
De l’argent s’il vous plaît
Je veux de l’argent
De l’argent pour vivre, non pour rêver
Pour rire et m’enterrer.
De l’argent pour en donner
Ou juste pour respirer.
J’veux de l’argent pour dormir
Pour courir, pour danser
Pour apprécier le vent
Et pourvoir aux enfants
Je veux de l’argent pour nourrir l’espoir
Et aussi les oiseaux
Pour soigner mes douleurs
Pour cultiver mon bonheur.
Pour vaincre mes maux de dos.
De l’argent pour étancher ma soif
Pour acheter la paix
Pour alléger mon cœur
Pour apaiser mes peurs
Je veux de l’argent pour souffler
De l’argent pour aimer
De l’argent pour aider
Pour affronter les tempêtes
Pour combattre l’adversaire
Pour traverser les marées
Pour des jeunes mariés
De l’argent simplement
Celle qui une odeur
Un parfum de printemps
Juste pour une heure
De l’argent s’il vous plaît.
Je veux de l’argent
De l’argent pour boire ou pour manger
Mais surtout ne rien acheter
Paule Pagé (non daté)